
enregistrement France Culture - réalisation Jacques Taroni
|
Mise en scène
CHRISTIAN RIST
Scénographie
SOPHIE MORIN
Musique
JEAN MICHEL DELIERS
Lumières
JEAN-BAPTISTE BRAUN et CHRISTIAN RIST
Construction des décors
Institut Supérieure des Techniques du Spectacle
avec
JEAN JACQUES LEVESSIER / CHRISTIAN RIST
JEAN MICHEL DELIERS
Création : le 12 mai 1998 à la Maison de la Culture de Bourges.
Théâtre de l'Aquarium-Cartoucheire de Vincennes/Paris, Théâtre de Sartrouville.
Réenregistré et diffusé sur France Culture le dimanche 24 juin 2001 à 14h00, dans une réalisation de Jacques Taroni.

RENCONTRE AUTOUR DU SPECTACLE
JEAN MICHEL DELIERS
sur le thème "Musique ancienne, musique en scène".
JEAN MAUREL
professeur de philosophie, maître de conférence à l'Université Paris I
sur le thème "La parade Flaubert", réflexion générale sur la théâtralité des textes de Flaubert.
PATRICK MÉROT et FRANCK CHAUMON
psychanalystes, membres de l'association Pratique de la folie, sur le thème "À propos de la sainteté".


Le Voir Dit - Compagnie Christian Rist
haut de page
Rist
l'Hospitalier
Un
pénitent joueur de vielle à roue accueille les spectateurs, qui prennent
place sur les bancs disposés sur le plateau du théâtre de l'Aquarium. L'image
de l'homme sous une capuche suffit au metteur en scène Christian Rist pour
évoquer le Moyen âge tel que Flaubert le reconstitue dans la Légende de
saint Julien l'Hospitalier, l'un de ses Trois Contes. « Et voilà
l'histoire de ce saint Julien l'Hospitalier telle à peu près qu'on la trouve
sur un vitrail d'église dans mon pays. » Tout le sel de la dernière
phrase de Flaubert tient dans le « à peu près ». « La Légende... » est
en fait un tour de force littéraire : un récit linéaire, simplissime, enchâssé
dans une langue d'une richesse et d'une puissance d'évocation inouïes.
Commencé à la manière d'un conte de fées, le récit s’achève sur une
hallucinante scène de baiser au lépreux, après avoir charrié des torrents de
sang et de larmes.
Depuis
des années, Christian Rist, fondateur du Studio Classique, a fait du « bien
dire » sa raison d’être au théâtre. Jean Jacques Le Vessier, acteur de la Légende… a
parfaitement retenu la leçon. Tout pour le texte : il embarque les
spectateurs dans les mots de Flaubert et tourne lentement autour d'eux, dans
I’espace imaginé par Sophie Morin et hanté par la figure de Jean Michel
Deliers, le musicien. On se laisse happer avec bonheur.
René Solis
Conte du soir
Le théâtre est, un peu, ou un peu beaucoup, le conte du soir
des grands, des vieux. Et le grand théâtre grec ne naquit pas autrement : un
acteur seul racontait, à des nuées de spectateurs, Ulysse, Oreste.
Aujourd'hui, Christian
Rist est l'un des hommes de théâtre qui ravivent le théâtre-conte-du-soir des
origines, et il le fait avec une finesse de cœur, une douceur, une chaleur,
une lumière, un bonheur, qui cachent une science infinie. Christian Rist a
fait construire par Sophie Morin, à cette fin, une grange de bois,
octogonale, comme il en subsiste dans les enceintes des abbayes,
cisterciennes entre autres - les moines s'y chauffaient et, sûrement, s'y
racontaient des choses. Cette grange se prête merveilleusement à l'écoute de
l'acteur Jean Jacques Le Vessier, qui nous dit l'histoire de saint Julien
l'Hospitalier que Gustave Flaubert se raconta donc à lui-même, pour ne pas
sombrer. C'est un très beau soir de théâtre.
Michel Cournot
La nuit du chasseur
Il
frappe le sol de son pied nu, en cadence. De plus en plus vite, de plus en plus fort. Et soudain, ce simple pied nu suggère le galop d'un cheval dans la
forêt, la fièvre de la chasse, la rage du chasseur. Rien que le pied nu de
l'acteur, et un monde lointain nous apparaît, renaît... Celui de Julien dit
l'Hospitalier, ce curieux saint du XIII° siècle, dont Gustave Flaubert a
repris l'existence légendaire pour en faire, en 1877, un de ses Trois
Contes. [...]
Suspendu aux lèvres du comédien Jean-Jacques
Le Vessier, à ses gestes, à ses silences, on écoute cette magnifique et
terrifiante histoire comme de grands enfants avides de contes noirs. Une
vielle grinçante et inquiétante, tenue par un musicien caché dans son
costume de moine (Jean Michel Deliers, qui joue aussi du tympanon et de la
cornemuse), ponctue le récit de sonorités venues d'un autre temps. Par
l'oreille bien plus que par la vue - voix grave et profonde de l'acteur,
mélodie lancinante de la vielle -, le metteur en scène Christian Rist
parvient à nous transporter dans un Moyen Age hanté de fascinants mystères.
La prose éclatante de Flaubert, lyrique à la diable, l'y aide magistralement.
Ici les mots semblent choisis pour leur timbre même, leurs résonances. Non
que l'écrivain ait choisi un vocabulaire baroque, des images flamboyantes :
il a juste orchestré son conte pour que les mots illuminent la lecture,
donnent le désir d'être prononcés à haute voix, pour mieux faire rayonner
leur parfaite musicalité.
On sait que l'écrivain soumettait souvent son
écriture à l'épreuve du « gueuloir », qu'il proférait volontiers ce qu'il
venait d'écrire pour mieux en vérifier la qualité. Son texte n'était pas
forcément théâtral pour autant; en faire spectacle n'était pas facile. Il
fallait trouver en scène un rythme, un crescendo dramatiques, réussir à faire
du verbe chair : une entreprise quasi mystique... Formé à l'école du metteur
en scène Jean-Marie Villégier, grand amoureux du mot, grand spécialiste de
Flaubert, Christian Rist est devenu un subtil passeur; par un travail
rigoureux sur le langage, il sait nous en faire pénétrer avec simplicité
toutes les zones d'ombre. L'air de rien, en écoutant seulement le comédien
Jean-Jacques Le Vessier et le vielleux Jean Michel Deliers, nous abordons
alors aux imprévisibles rivages de la rédemption.
L'évidence du «
passage », du voyage s'explique aussi par l'intimité créée entre la scène et
la salle. La décoratrice Sophie Morin a imaginé un lieu clos, une espèce de
halle moyenâgeuse - qu'on dit aisément modulable, transportable où les
spectateurs assis en rond restent proches du comédien et du musicien qui
déambulent calmement au milieu d'eux. Entre la force éblouissante du récit
et l'évidence apaisée du jeu se noue alors une douce alchimie. Quand Julien
enfin trouve la paix, quand il finit après une scène violemment romantique
par « épouser » le Christ, le miracle dans la salle a lui aussi eu lieu. On
ne sait plus dans quel monde on est. Dans quelle vieille histoire mythique on
s'est laissé emporter.
Fabienne Pascaud
Christian Rist réussit un
grand moment de théâtre
Le
comédien Jean-Jacques Le Vessier livre sans jamais forcer la voix cette
histoire terrifiante et sanglante de parricide saisi par la grâce. Le conte
noir, anti-dépresseur pour écrivain en mal d'inspiration, se déroule sans
faille, associant destin tragique à l'antique et mystère chrétien. Les
épisodes de cette vie brisée sont ponctués par des séquences lancinantes de
musiques jouées sur instruments traditionnels par un moine anonyme (le
musicien Jean-Michel Deliers) et inquiétant comme sorti d'un tableau de
l'Espagnol Zurbaran. La vielle à roue et la cornemuse suggèrent des temps
reculés et malheureux comme on en évoque à la veillée.
Les mots
de Flaubert, capables de supporter l’épreuve du « gueuloir », font
la force du récit pourtant baroque aux regards de l'historien des religions.
Il fallait le talent et la modestie de Christian Rist face au texte pour se
jouer de tels pièges et éviter l'ennui. Le créateur du Studio Classique fait
preuve d'un art rigoureux au service du théâtre. Familier de Flaubert, il
sert le maître sans asservir. Pour inscrire sa réussite dans l'espace,
Christian Rist a su faire appel à Sophie Morin. La jeune scénographe a conçu
un petit espace magique, théâtre de bois, qui tient du temple protestant et
de la grange rurale. Les spectateurs assis en rond se tiennent au cœur du drame. [...] Les lumières sobres se jouent de la pénombre à la façon d'un Georges de la Tour. Lorsque, dans la scène
finale, Julien, sur l'ordre d'un lépreux tout droit sorti des Évangiles,
accepte littéralement le corps à corps en épousant le Christ venu sous cette
forme à lui, la lumière de la résurrection trace sa route dans une salle muette. Le spectateur s'est laissé emporter et regagne tranquillement la
terre ferme. La nuit peut s’annoncer, il sait où mettre ses pas.
Robert Migliorini
Le conte est bon
D'une voix douce, Jean Jacques Le Vessier dit et vit ce récit tumultueux et cruel, un peu à la façon des conteurs arabes. Evoluant dans une salle de conception octogonale, il distille le texte de Flaubert dans toute sa rigueur et l'élégance de son style. La mise en scène n'intervient que par le biais des éclairages avec la présence intermittente d'un moine encapuchoné qui manie avec délicatesse des instruments anciens comme la vielle à roue, la cornemuse et le psaltérion. Ainsi suit-on le destin de Julien, chasseur impitoyable à qui un cerf mourant prédit qu'il tuera père et mère. Il faudra le baiser final à un lépreux pour que Dieu ramène à lui ce guerrier parricide par accident. Flaubert n'est pas trahi.
A.L.
Christian Rist
installe les spectateurs dans une Construction originale, comme une cabane.
Le lieu, la lumière, la musique, le comédien Jean Jacques Le Vessier, le
style de Flaubert, tout fait alchimie. On est perdu au milieu d'une forêt,
dans la nuit des temps, comme des enfants étonnés, dans la force et le
mystère de l'écoute. Un moment à part, un sortilège.
Annie Chénieux
Une intensité bouleversante
Trois
rangées de gradins entourent une piste ronde. Au-delà, une coursive ferme ce
lieu encadré de quatre portes de lumière. Dans ce décor de bois brut, tout se
replie comme dans un cocon. Seule la flèche pointue de la scène coupe le
cercle intérieur. Christian Rist a utilisé ce théâtre de poche pour créer un
espace de proximité entre les spectateurs et l’acteur. Jean-Jacques Le
Vessier, acteur narrateur de la pièce, prend en effet possession de
l’endroit. Au centre, sur l’éperon de la scène ou le long de la coursive; son
jeu poignant oblige les spectateurs à le suivre, le regard du comédien
croisant souvent le leur. « L'acteur est entouré mais il entoure aussi »
précise Christian Rist et chacune de ses respirations est ressentie par les
spectateurs. [...]
La mise en scène d'une très grande
sobriété, jouant plus sur le mode de la narration du conte que sur le jeu
théâtral, demande au comédien une puissance et une interprétation très
impliquée et totalement réussie par Jean-Jacques Le Vessier qui a su créer un
espace-temps différent entre le personnage de Julien et celui du narrateur.
Son seul partenaire est un musicien, Jean-Michel Deliers. Vêtu d'une robe de
bure, le visage recouvert de sa grande capuche, il donne avec ses
instruments moyenâgeux (vielle à roue, cornemuse et autres psaltérion),
« un décor sonore qui développe l'imaginaire et permet de pousser plus
loin l'évocation des mots » souligne Christian Rist. La présence du musicien,
à la fois moine errant, messager, ange lépreux, agit comme un révélateur du
personnage de Julien. La dimension spirituelle intense de ce conte se lit aussi
dans la recherche profondément humaine de Saint-Julien. Une humanité relayée
par Jean-Jacques Le Vessier qui se fait
«
passeur de mots, voix de la mémoire humaine », à l’image de Julien le
passeur, qui finit sa vie menant sa barque d'une rive à l’autre.
L'état de grâce de saint
Julien
Il y a parfois des moments comme
entre parenthèses, des instants uniques, presque extatiques. C'est ce que le
public a vécu mardi soir lors de la première de la Légende de saint
Julien l'Hospitalier à la Maison de la Culture. Dans le merveilleux écrin
de bois fleurant si bon qui sert de décor à la mise en scène si pure de
Christian Rist, le texte de Flaubert a pris toute sa dimension. Un texte
d'orfèvre, flamboyant, d'une immense subtilité pour conter ce mystère entre
parricide et rédemption, chemin de violence, de sang, de douleurs. Chemin de
croix épique et déchiré comme l'âme de Julien, jeune seigneur médiéval, héros
d'épopées guerrières, devenu moine mendiant pour racheter son crime. Très
vite la beauté du verbe de Flaubert submerge, subjugue, remarquablement
servie par Jean-Jacques Le Vessier.
Là, dans
l'intimité du petit théâtre de bois clair, seulement accompagné de la vielle
et de la cithare de Jean-Michel Deliers dont la silhouette encapuchonnée de
bure ajoute à l'atmosphère fascinante et mystique, Jean-Jacques Le Vessier
conte, dit et fait vivre le personnage de Julien. Presque à voix basse, comme
on confie un secret, comme on révèle un mystère fabuleux, il encercle le
public, semble parler à chaque spectateur sous le charme, baigné par le texte
fulgurant et sensuel.[...]
Le temps s'arrête, suspendu au texte et à
la voix. On frôle l'éternité.
Marie-José
Ballista
Flaubert dans l’intimité
Ce
conte raconte l'histoire d'un parricide qui deviendra un saint. Une légende
découverte par Flaubert sur un vitrail de la cathédrale de Rouen. Une
légende riche en rebondissements qui ne fut pas écrite pour la scène. «
Je pourrais la jouer n'importe où », assure le comédien tandis que
Christian Rist, le metteur en scène, nuance : « Ce décor, ce théâtre
de poche qui respire, donne au texte sa dimension théâtrale et la musique de
Jean Michel Deliers lui apporte la dimension spirituelle ».
L'école
régionale d'acteurs de Cannes, l'institut supérieur des techniques du
spectacle ont, avec Sophie Morin, scénographe et Christian Rist, conçu ce
petit théâtre circulaire en bois. Les proportions sont telles, le matériau
est tel que le comédien maîtrise totalement l'acoustique. [...] Jusqu'au
grincement du bois qui n'est plus un bruit parasite mais un élément du
spectacle. [...]
La légende de saint Julien est une sorte de
mystère médiéval restitué ici dans le fond et dans la forme. [...] La mise en
scène sobre a donné à ce texte une profondeur. La musique et la lumière caressent
le personnage, le décor, l'histoire et apportent leur part d'émotion
sensuelle.
B. Besson
Il était une voix...
On entre
lentement, presque religieusement déjà, dans un enclos de bois sombre et
circulaire. On est sage, et guidé par le son hors d'âge d'une vielle à roue,
chacun attend le début de l'histoire. Une voix douce s'élève, un personnage
vêtu de noir (Jean-Jacques Le Vessier, fascinant) s'avance dans l'ombre et charge
bientôt l'espace vide de sa présence étrange. Simplement, les mots de
Flaubert restent seuls, suspendus, clairs, et se lient. Un équilibre étrange
émerge dans la voix du conteur, la maîtrise parfaite de la progression
dramatique et, discrètes, les modulations d'une diction sobre qui laisse au
texte toute sa force nue. La parole est seule ici, et suffisante. Parfois,
une silhouette vêtue de bure (le multi-instrumentiste Jean Michel Deliers,
virtuose fantôme du Moyen Age) vient compléter, aux côtés du comédien,
l'ancrage visuel et musical qui nous transporte vers …
[…] Freiné
par l'extrême dépouillement du décor, le regard du spectateur n'est plus
attiré que par les torches du comédien, des lumières lunaires, des formes
indistinctes. Petit à petit, il entre en lui-même, se tourne vers son univers
intérieur. Exutoire de l'auteur au temps de l'écriture, ce conte garde pour
chacun sa part d'exorcisme. Comme un enfant, je donne corps aux images et me
les approprie. Je chasse à coups d'épées les sangliers les plus terribles de
mes pensées, des porcs-épics redoutables. Je me promène au long des vergers
fleuris, plaint la biche aux abois et condamne le chevalier sanguinaire qui,
de ses flèches, perce le flan du petit faon... Faute, punition, rédemption :
des valeurs très mystiques dans ce texte de Flaubert, mais qui remettent au
jour une source d'effroi et de mystères venus de loin. D'un théâtre des
origines, d'un théâtre qui vous touche et puis vous accompagne, longtemps.
Marie Monjauze
La plume de Gustave
Impossible de prendre Gustave Flaubert à la légère. Pour aborder ce géant, il ne fallait pas moins de quinze jours et plus de seize émissions disséminées dans tout le programme de France Culture. Pierre-Marc de Biasi sert de guide dans un parcours capricieux, où il sera question de l'homme, de l'oeuvre, du style, de la beauté, de la bêtise, de la manière absolue d'être un écrivain. Les longues années que Pierre-Marc de Biasi a passées en plongée dans les manuscrits, brouillons, carnets, correspondance... autorisent la confiance qu'on lui donne, et qui n'est jamais trahie par un discours ex cathedra.
[...] Parmi les adaptations radiophoniques et les lectures de l'oeuvre de Flaubert, il faut retenir La Légende de saint-Julien l'Hospitalier, lu par Christian Rist. Flaubert avait imaginé cette « petite bêtise moyenâgeuse » à partir d'un vitrail vu dans son enfance. Christian Rist se révèle un formidable "gueulant" flaubertien, aussi bien dans l'hallucinant et sanglant carnage de chevreuils perpétré par Julien que dans le baiser au lépreux.
Martine Lecoeur.
haut de page


|